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On me demande souvent si je ne joue pas un peu trop.
Comme si ce n’était qu’une manie charmante, un passe-temps un tantinet envahissant.
Voici ma réponse, posée sur un plateau d’argent et parfumée au bambou.

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Il y a des choses qu’on ne choisit pas vraiment.
Elles nous frôlent doucement, l’air de rien, et puis un jour, sans avoir rien demandé, on réalise qu’elles sont devenues indispensables.

Le shakuhachi — et son vénérable ancêtre, l’hitoyogiri — sont entrés dans ma vie comme ça.
Pas comme un passe-temps. Encore moins comme un caprice voué à s’éteindre une fois la nouveauté dissipée.
Non. Plutôt comme une évidence, comme une réponse venue de l’intérieur à une question que je ne savais même pas avoir posée.
Un fil de soie tendu entre le silence et moi.

Dans ce billet, j’essaie de répondre à une question qu’on me pose souvent :
« Mais pourquoi tu joues autant ? Tu ne crois pas que ça frôle l’obsession ? Tu ne pourrais pas faire autre chose, comme tout le monde ? »

(Et pour les puristes : oui, j’utilise ici le mot shakuhachi dans un sens large. Il englobe aussi l’hitoyogiri, que vous avez peut-être vu passer dans mes vidéos.)

Allons-y.

Un espace sacré

Le shakuhachi n’est pas seulement un instrument.
C’est un langage que mon corps et mon esprit comprennent sans effort, un refuge sensoriel.

Quand on est né avec des capteurs très ouverts, et que le monde à plein volume devient vite trop bruyant, trop lumineux et trop rapide, c’est pratique d’avoir des ancrages pour ne pas se noyer.

Le shakuhachi m’aide à apprivoiser l’univers sonore dans lequel je vis.
Il me permet d’accueillir les sons comme des invités imprévisibles : on les a conviés, certes, mais rien ne garantit qu’ils arriveront en costume ni qu’ils auront de bonnes manières.

Alors, pour que ça fonctionne, il faut se rendre disponible. Lâcher le contrôle. Accepter d’être traversé par ce qui est là, dans l’instant.
Autrement dit : se faire élève d’un art ancestral et presqu’insaisissable - celui du lâcher-prise.

Bref, le shakuhachi, c’est comme une leçon de zen très condensée !

Le souffle et le chat

Jouer du shakuhachi, c’est s’oublier dans l’instant pour laisser le souffle faire le travail à notre place.
Et parfois, ce souffle devient vrai. Pas au sens académique du terme — plutôt comme une fleur qui éclot : peu importe où elle pousse, elle est magnifique.
Ou comme un nuage, qui glisse sans effort dans le ciel, toujours exactement là où il doit être.

L’astuce, c’est de s’imprégner de cette idée : peu importe où nous sommes, c’est forcément le bon endroit, au bon moment.
Si cette notion t’intrigue, je te recommande Le pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle. Il en parle bien mieux que moi — et avec moins de métaphores florales, promis.

Une autre grande leçon que le shakuhachi m’enseigne, jour après jour, c’est qu’on ne le force pas.
S’il refuse de produire un son, inutile de lutter : plus on insiste, plus il se tait… ou alors, il se rebelle. Et dans ce cas, il crie comme une mouette en rut.
(C’est une image, oui. Mais si tu ne vois pas de quoi je parle, fais un tour à la mer du Nord. L’expérience est assez éloquente.)

Le shakuhachi est un peu comme un chat.
Si tu lui demandes de rapporter une balle, il va te regarder d’un air surpris, puis te tourner le dos pour contempler une araignée sur le mur, avec ce mélange d’indifférence et de supériorité naturelle dont il a le secret.

Il est libre. Il fait ce qu’il veut.
Et moi, au milieu de tout ça, j’apprends à faire pareil.
À me relier à mon souffle, à retrouver ma nature profonde, et à me réguler sans forcer.

Finalement, comprendre le message du shakuhachi, c’est réaliser qu’on n’a rien à prouver.
Que tout est déjà là.
Et qu’il n’y a pas besoin que ce soit autrement.

Tout ça dans un simple tube de bambou.
Affolant, non ?

Une forme de soin

Ce que certains appellent un « hobby » ou parfois une « obsession », pour moi c’est autre chose.
Ce n’est pas une distraction, ni un passe-temps pour occuper les mains quand l’esprit tourne en rond.
C’est un ancrage.
Un point d’équilibre dans le mouvement.

Jouer me fait du bien.
Ça m’apaise.
Ça donne du sens à mes journées. Et, comme ça me donne aussi le sentiment de ne manquer de rien, ça me permet de vivre plus simplement.

Ma flûte m’aide à tenir debout, bien droite, comme quelqu’un qui n’a pas peur d’accueillir ce qui vient.
(Si tu ne me crois pas, essaie de jouer en laissant tomber les épaules : tu verras, c’est juste impossible.)

Et si tu te reconnais…

Peut-être que toi aussi, tu as quelque chose comme ça.
Quelque chose que les autres ne comprennent pas toujours.
Quelque chose qui ne rentre pas bien dans les cases du « raisonnable »,
mais qui, pour toi, fait sens. Qui t’apaise.
Qui t’aide à habiter le monde à ta manière.

Si c’est le cas, garde-le précieusement.
C’est peut-être ça, ton fil d’or.
Parce qu’il n’y a pas une seule bonne façon de vivre — il y en a mille.
Et parfois, il suffit d’un souffle, d’un geste, d’un silence…
pour que tout devienne un peu plus clair.

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